POUR UNE AUTRE ECONOMIE

Note de lecture par ADAM Michel

Pour se procurer l'ouvrage : http://www.lelabo-ess.org/wp-content/uploads/2010/07/Pour-une-autre-%C3%A9conomie.pdf Au printemps 2008, Claude Alphandéry, ancien résistant, devenu banquier à la Caisse des Dépôts puis président durant 15 ans du CNIAE1, prend une initiative audacieuse. Avec des membres engagés dans les réseaux de l’économie solidaire, quelques dirigeants de l’économie sociale et quelques universitaires, il lance une démarche2 appelée LABO de l’ESS pour « faire bouger les lignes » de cette ESS en partie engourdie, à partir d’un état des lieux sans concession.

Deux ans et demi plus tard, un site très vivant est sur le Net et un sondage interactif a recueilli 700 réponses des acteurs de l’ESS sur leur conception de celle-ci. Un numéro hors série de la revue Alternatives Économiques n°46 bis, publie sur 120 pages, ce travail considérable sous le titre Pour une autre économie. Edgar Morin en a rédigé la préface Un changement de cap civilisationnel. « Il s’agit en somme de remplacer l’hégémonie de la quantité par celle de la qualité », écrit-il.

 

Deux parties d’inégale importance.  Plus courte, la première décrit en une quarantaine de pages le contexte, « conjonction de crises profondes et de déséquilibres structurels », le bilan en termes de points forts, « l’ESS un levier pour sortir de la crise par le haut » et de points faibles « défis et perspectives pour une économie plurielle ». Le positionnement est tracé, il s’agit non pas de prôner la généralisation de l’ESS partout mais d’en faire un levier éthique et technique à la fois pour une économie reconnue plurielle et traitée équitablement comme telle. Pour un autre développement, c’est-à-dire retrouver la vocation initiale transformatrice de ces mouvements nés au milieu du 19è siècle.

 

Pour une économie sociale régénérée et régénérante

Le coeur de l’ouvrage déploie alors « 60 propositions pour changer de cap », longuement élaborées et débattues par 80 personnes actives dans huit groupes de travail. Les faiblesses de l’ESS se voient transformées en perspectives concrètes qu’il s’agisse de la prise en compte plus anticipatrice du développement durable, de la valorisation des nombreuses innovations du terrain, de la féminisation des dirigeants, de la plus grande sensibilisation des jeunes et du monde étudiant, universités et grandes écoles.

Mais aussi d’un soutien plus fort à l’entrepreneuriat, d’une meilleure gouvernance des entreprises, moins déclarative et plus probante par la co-évaluation de toutes ses parties prenantes. Soit une réelle prise en compte des impacts sociaux et environnementaux des entreprises pour favoriser les bonnes pratiques.

Sont mises en avant des propositions larges comme le développement de la coopération dans les territoires entre acteurs de l’ESS qui se connaissent trop peu mais aussi avec les autres composantes du territoire, pour une ESS ouverte et sans frontières. Propositions très larges également autour des finances solidaires et à l’échelle nationale pour une  finance patiente, sobre et utile, un New Deal des politiques d’intérêt général, un Etat investisseur social.

La consommation responsable, l’éco-consommation, les circuits courts, l’auto-production, les énergies renouvelables, bien des notions de l’économie alternative des années 70 trouvent enfin droit de cité au sein du grand ensemble ESS aux côtés des prix équitables, de la transparence et de la traçabilité. Les actions d’éducation citoyenne, de vigilance et de participation occupent une place forte dans le texte.

L’appel à de nouveaux indicateurs de richesse surgit enfin comme cadre global de changements profonds nécessaires, souhaitables et amorcés. Une agence civique de notation est mise en avant.

Faire mouvement avant tout

La conclusion est un appel « à faire mouvement », tant l’enjeu est international, écrit Jean-Louis Laville, et tant la réflexion doit être profonde selon Patrick Viveret, pour dépaser la réduction bureaucratique et économiste qui s’est produit dans l’ESS.

Soit un texte créatif et anticipateur, bourré d’exemples qui donnent envie et méthodes, à la façon dont Victor Hugo écrivait : « les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain. » L’enthousiasme de Claude Alphandéry, ses compagnons de réflexion et l’ouverture réelle de la démarche ont permis cet ouvrage roboratif. Sa suite logique vient de s’enclencher, il s’agit des Etats Généraux de l’ESS en trois phases – chantier, mouvement, action - dans la perspective des élections présidentielles de 2012.

Déjà des groupes de suivi de ce Livre Blanc sont à l’oeuvre et une première grande initiative a vu le jour : le lancement de les Territoriaux de Coopération et de solidarités Économiques, les PTCE - une dizaine sont amorcés - en écho aux pôles de compétitivité des gouvernements précédents. Le gouvernement leur a réservé une somme conséquente dans les travaux du grand emprunt.

 ‘Une autre économie’ est possible, le Réseau du Labo ESS témoigne, comme en témoigne l’ouvrage qui a valu en 2009 le ‘Nobel d’Economie’ à l’américaine E Ostrom consacré à la gouvernance de l’action collective. Nous pouvons nous attacher à relever ‘le défi de la démocratie assumant la complexité de l’action collective’.

«  … La crise économique actuelle, que Keynes aurait appelé «crise de l'économie » c'est-à-dire crise du système fondé sur les lois du seul marché, s'inscrit dans un ensemble de crises. Crise de la relation entre les humains et la nature, dont témoignent les multiples dégradations de la biosphère, dont le réchauffement climatique. Crise des sociétés traditionnelles qui tendent à se désintégrer sous le dynamisme de l'occidentalisation ou à se refermer avec hostilité. Crise de la modernité elle-même, qui, dans les pays occidentaux n'a pas réalisé les promesses d'une vie meilleure et harmonieuse, mais créé un nouveau mal-être, malgré l'idée, formulée par Condorcet et devenue un dogme universel jusqu'à la fin du XXe siècle, que le progrès est une loi irrésistible de l'histoire humaine. L'ensemble de toutes ces crises constitue la crise de l'humanité qui n'arrive pas à devenir humanité.Ainsi le développement de l'économie sociale et solidaire s'inscrit-il dans une perspective incluant toute l'humanité. Ce qui n'empêche nullement de commencer dans un cadre national qui, si nous étions fidèles à la tradition née en 1789, devrait être exemplaire. La voie de l'économie sociale et solidaire peut et doit confluer avec d'autres voies, toutes également réformatrices, qui, si elles se développent et se conjuguent pourront constituer LA voie de salut pour l'humanité. »                    Edgar Morin (2010)

La conclusion de la préface qu’Edgar Morin a rédigée à l’ouvrage du labo de l’ESS (sous le titre « un changement de cap civilisationnel »nous incite plus encore à exercer nos intelligences dans l’action pour relever ce défi qui la crise de l'humanité qui n'arrive pas à devenir humanité.’


[1] le Conseil National de l’Insertion par l’Activité Économique
[2] Démarche à laquelle a participé depuis le début l’auteur de cette note, mais aussi la FPH.